BirdLife Suisse collabore avec le monde agricole pour la préservation d’espèces menacées d’extinction, notamment celles nichant au sol et très vulnérables aux labours. Depuis 2015, la prise de conscience d’un intérêt mutuel à préserver la biodiversité est la clé du succès pour ramener en nombre, sur le Grand marais, les couples de vanneaux huppés, notamment.
C’est avec le printemps que le vanneau huppé trouve le moyen de se faire remarquer. De retour de ses quartiers d’hiver, sur les côtes atlantiques et en Afrique du Nord, le mâle semble chercher, dans tous les sens du terme, la bonne station pour se reproduire. On dit qu’il “parade”. D’une part il y a son chant, strident et comme sorti du tuning d’une vieille bande FM (cf. le son au début de la vidéo ci-contre). D’autre part il y a son vol, qui décrit des arcs montants et descendants. Les femelles y sont sensibles, et l’être humain aussi, en particulier s’il est fan de Top Gun.
Des marécages aux terres cultivées
Le vanneau mâle creuse ensuite des nids au sol, utilisant des herbes mortes pour les protéger et les camoufler. La femelle en choisit un, où le couple couvera, à tour de rôle, 3 ou 4 œufs au maximum. Après 26 à 29 jours, les poussins éclosent, très rapidement capables de chercher leur nourriture par eux-mêmes: l’espèce est dite “limicole“, du latin limicola sgnifiant “qui se tient dans le limon”, et ses longues pattes, pour un oiseau de la taille d’un pigeon, lui permettent en effet de se déplacer sans problème en milieux humides (on le voit aussi dans la vidéo, images fournies par BirdLife Suisse). Pour se nourrir, le vanneau dispose de deux techniques. Soit il fait plusieurs pas rapides, s’immobilise, et tend l’oreille pour entendre les proies avant de les capturer. Soit il tape très rapidement avec une patte sur le sol pour le faire vibrer et simuler la pluie, ce qui provoque la remontée des vers de terre à la surface… Futé, l’oiseau.
Victime du travail du sol
Ce modus operandi posé, il est temps de parler agriculture. Car si le vanneau huppé a jadis beaucoup souffert du ramassage de ses œufs, considérés comme des mets raffinés entre le XVIIIe et le XXe siècle, s’il est aussi la proie des renards, des chats et de certains rapaces, comme le faucon pèlerin, c’est bien l’intensification des labours qui a failli causer sa perte. En Suisse, ses effectifs ont chuté jusqu’à un creux historique en 2005, avec seulement une centaine de couples nicheurs contre un millier en 1975. Même s’il a su, en partie, s’adapter au travail du Grand marais par l’homme, les machines agricoles ne lui laissent aucune chance : non seulement les creux humides se font rares rendant la nourriture inaccessible aux jeunes, mais surtout ces derniers, jusqu’à l’âge de trois semaines, ne s’enfuient pas et se blottissent contre le sol en cas de danger: une hécatombe lors des multiples travaux des champs.
Une sécurité économique pour des champs qui s’affaissent
Lucas Lombardo est chef de projet conservation des espèces chez BirdLife Suisse. Il est convaincu que la préservation de zones de biodiversité qualitative va autant dans l’intérêt de la faune que des agriculteurs: «Ici dans le Grand Marais, les champs sont hyper organiques et s’affaissent, constituant d’immenses gouilles en cas de fortes précipitations avec le risque de perdre une grande partie de la récolte. Or en participant à notre projet de jachère rotative, l’exploitant sait exactement combien son champ va lui rapporter grâce aux paiements directs, près de 5’000 francs par hectare et par an, à quoi s’ajoute un financement du canton de Berne et de BirdLife. C’est donc une sécurité économique pour lui. Sans compter que la clôture électrique, pour protéger les oiseaux des renards, est prise en charge et installée par BirdLife. Vu que c’est un champ problématique, c’est vraiment une situation win-win.»
Simuler, à petite échelle, le Grand marais d’il y a 150 ans
Dans ce Seeland fertile, au-delà du vanneau, on prend des mesures au profit de plusieurs espèces nationalement menacées en milieu agricole : fauvette grisette, chevêche d’Athéna, alouette des champs, tourterelle des bois, bruant proyer, bergeronnette printanière… «On essaie de simuler le Grand marais comme il était il y a 150 ans», poursuit Lucas Lombardo. «On a installé deux pompes solaires pour inonder, depuis le canal de drainage, une partie du champ, ce qui est nécessaire pour espérer un succès reproductif. On essaie aussi de recréer une mosaïque de végétations avec des mesures différentes. Il y a par exemple quatre vaches Highland, que nous avons achetées et que nous finançons, qui nous aident à créer un sol ouvert par endroits, avec de l’herbe pas trop haute à d’autres endroit. Ces vaches paissent ici entre début mars et fin juillet, et il y a un agriculteur qui les rentre à l’étable l’hiver. Et ces sols, dit “ouverts” puisque la matière organique y affleure, sont nécessaires au vanneau que ce soit pour se nourrir ou pour nicher, car il a besoin d’une vue à 360 degrés pour détecter ses prédateurs.»
Echelonner les fauchages jusqu’en août
Contrairement aux idées reçues, BirdLife ne milite pas contre l’agriculture. Lucas Lombardo défend plutôt des innovations cohérentes, «comme de se mettre d’accord pour ne pas tout faucher en même temps». «Une prairie extensive, si elle est fauchée le 15 juin, c’est plutôt un piège pour oiseaux et insectes. Mieux vaudrait étaler ça entre fin avril et le mois d’août que de réclamer davantage de surfaces en prestations écologiques requises.» A Brüttelen (BE), BirdLife soutient le projet d’une jeune agricultrice qui, sur 4 hectares, a notamment planté un champ d’avoine qu’elle ne récoltera pas, «pour aider une autre espèce d’oiseau, le bruant proyer». «Pendant les périodes de mauvais temps, le bruant proyer ajuste son régime alimentaire, passant des insectes à l’avoine, une source riche en protéines qui peut s’avérer déterminante pour la survie des poussins, leur assurant les nutriments nécessaires. Et à Brüttelen on teste aussi d’autres types de jachères, par exemple une jachère florale.»
«Une prairie extensive, si elle est fauchée le 15 juin, c’est plutôt un piège pour oiseaux et insectes. Mieux vaudrait étaler ça entre fin avril et le mois d’août que de réclamer davantage de surfaces en prestations écologiques requises.»
Lucas Lombardo, chef de projet conservation des espèces chez BirdLife Suisse
Adapter les cultures et oser la nouveauté
Parallèlement, l’innovation peut porter sur les cultures choisies: «A La Sauge, un exploitant s’est lancé dans le riz, et pourquoi ne pas défendre des espèces de maïs pour polenta?» développe Lucas Lombardo. «Il va falloir oser de nouvelles solutions, qui s’adaptent aux évolutions du climat et du terrain, avec des machines plus lourdes qu’autrefois, tout en gardant le CO2 dans les sols.» Les agriculteurs en seraient bien conscients, mais seraient trop souvent conservateurs dans leurs pratiques. «Il faut savoir prendre le risque de cultiver du riz, même si on n’en voit pas encore beaucoup en Suisse et qu’il sera vendu plus cher que le riz asiatique. Mais je ne dis pas pour autant qu’il faut faire du riz partout!»
Un immense potentiel
«Dans le Seeland, le pourcentage de surfaces réservées à la biodiversité est largement atteint»
LUCAS LOMBARDO, CHEF DE PROJET CONSERVATION DES ESPÈCES CHEZ BIRDLIFE SUISSE
Avec le vanneau huppé au creux nos parcelles, désormais de retour au-dessus de 200 couples reproducteurs en Suisse, agriculteurs et défenseurs de l’environnement prouvent leur intérêt commun pour une biodiversité qui fonctionne. Une combinaison d’eau, de sol ouvert et de prairie extensive bien gérée profite aux insectes, aux libellules, et à la fertilité des sols. «Dans le Seeland, le pourcentage de surfaces réservées à la biodiversité est largement atteint», conclut Lucas Lombardo. «Mais on peut aider à les valoriser, et ça ne coûtera rien aux exploitants: cantons et fondations nous financent, et les paiements directs jouent leur rôle. BirdLife y voit un immense potentiel dans toute la Suisse.»