En ce 14 juin, honneur aux femmes dans le milieu agricole. Alors qu’elles approchent la fin de leurs études ou débutent la gestion d’une exploitation, trois agricultrices détaillent leur philosophie du métier ainsi que leur point de vue sur la durabilité et le futur de l’agriculture.
Qui êtes-vous et pourquoi avoir choisi de travailler dans l’agriculture?
Jennifer Perrin
Je suis éleveuse de vaches allaitantes et de chèvres près du Creux du Van sur le domaine familial. J’ai fait un détour par l’horlogerie de luxe et les voyages d’affaires avant de décider de revenir dans le monde agricole! Après dix ans à travailler dans les bureaux, je ne me sentais plus à ma place et un retour aux sources s’est opéré suite à un voyage à l’étranger. Depuis le 1er janvier 2022, je gère seule la ferme, la vente des produits, une vingtaine de vaches et une vingtaine de chèvres.
Vanessa Junod
Je suis en train de terminer mon brevet d’agricultrice, métier que j’envisage depuis toute petite! Toute ma famille est dans le milieu, je ne me suis jamais vue faire autre chose. Aujourd’hui, je travaille à 100% sur l’exploitation familiale dans le Nord Vaudois: nous avons une trentaine de vaches laitières et une centaine de bovins au total, dont le lait est vendu exclusivement pour la production de Gruyère. Nous entretenons aussi des cultures fourragères destinées à l’alimentation de nos animaux. L’été, notre cheptel monte à l’alpage.
Diane Moullet
Depuis la fin de ma première formation d’horticultrice en 2009, je travaille sur l’exploitation familiale avec mes parents à Montagny-les-Monts (FR). Je viens de terminer le brevet de paysanne pour compléter mes connaissances. Mes parents ont toujours fait ce métier qui m’a séduite très tôt aussi. Chez nous, ce n’est pas une ferme «classique»: on fait de l’élevage bovin et de l’horticulture (fleurs et plantons de légumes). C’est un travail varié que j’apprécie, malgré les aléas que cela peut comporter. Si la météo n’est pas avec nous par exemple, les cultures et nos salaires en pâtissent directement. Mais je suis quelqu’un d’optimiste, donc ça ne m’arrête pas.
Que signifie le «durable» de «agriculture durable»?
Jennifer Perrin
Produire de la nourriture saine, bonne et abordable sans faire de concession sur le bien-être des animaux. Pour moi, l’agriculture durable se construit hors des systèmes industriels. J’ai trop entendu mes parents souffrir du manque d’argent en grandissant, alors je souhaite développer au maximum la vente directe et réduire les intermédiaires, ce qui me permet de compter sur un meilleur revenu. Et pour mes animaux, je veux les voir à l’air libre, pâturer l’herbe et respirer le grand air.
Vanessa Junod
Pour moi, l’agriculture doit avant tout remplir sa fonction nourricière. Il s’agit alors avant tout de trouver des compromis plutôt que de se terrer dans une extrême ou l’autre. Je parle là d’agriculture raisonnée: produisons mieux, à la hauteur de ce que nous offrent les dernières techniques et connaissances. Par exemple, connaissant les problématiques liées à la consommation d’eau, notre bétail à l’estive est abreuvé uniquement à l’aide de citernes d’eau de pluie et d’un étang situé plus haut. Grâce à la gravité et à un système d’écoulement naturel – sans énergie – nous ramenons de l’eau pour les vaches.
Pour moi, l’agriculture doit avant tout remplir sa fonction nourricière. Il s’agit alors avant tout de trouver des compromis plutôt que de se terrer dans une extrême ou l’autre.
Diane Moullet
Essayer de faire de son mieux, toujours. Ce sont nos champs, nos bêtes, donc on veut en prendre soin! Je n’aurais pas la conscience tranquille si je livrais des produits que je considérais comme mauvais. Chez nous, on essaie des techniques permettant de réduire l’utilisation de produits phytos sur les légumes ou les plantes. Nos bêtes, elles, ne mangent que du fourrage produit sur l’exploitation et ne reçoivent pas d’antibiotique ni de médicament, sauf si elles sont malades, ce qui est très rare. Elles sortent toute l’année car on a fait le choix de suivre le programme SRPA (Sorties régulières en plein air), une mesure volontaire que nous adoptons parce qu’elle correspond à notre vision du bien-être animal. Finalement, nos clientes et clients s’inscrivent chez nous pour acheter de la viande, et nous abattons l’animal seulement lorsque suffisamment de personnes sont intéressées ce qui garantit que l’animal sera entièrement valorisé.
Dans 10 ans, qu’aimeriez-vous avoir réalisé sur votre exploitation?
Jennifer Perrin
Mon but est d’avoir davantage de chèvres afin d’augmenter la production de fromage. Je souhaite aussi développer la vente directe de viande. Aujourd’hui, lorsque je vends une vache, je ne sais pas forcément où elle va, dans quelle région, sur quelle exploitation, dans quels magasins sa viande sera vendue… Développer la vente directe me permettrait de garder les animaux auprès de moi du début à la fin. Mais je serais tentée de changer de race. Je creuse actuellement la piste des espèces en voie de disparition, comme les vaches grises rhétiques, ce qui me permettrait de contribuer à sauver une espèce, même si cela veut dire acquérir des animaux considérés comme «moins rentables». J’espère que mon projet d’augmentation des ventes de fromages de chèvre comblera les manquements.
Le futur de l’agriculture, c’est de produire moins et mieux, mais pour cela il faut revoir toute la question du gaspillage alimentaire.
Vanessa Junod
J’aimerais avoir une famille et offrir à mes enfants une éducation similaire à celle que j’ai vécue. J’ai eu la chance de connaître la valeur de ce que j’ai dans mon assiette, le travail qu’il y a derrière pour s’occuper des champs et des animaux. Je suis aussi consciente que le milieu évolue et qu’il faut rester au courant des progrès tout en gardant un esprit critique face à celui-ci et face à ma propre façon de travailler. Alors je continuerai de participer à des programmes volontaires pour découvrir de nouvelles techniques, de nouvelles cultures, etc.
Diane Moullet
L’exploitation me plaît telle qu’elle est, bien qu’on cherche encore le meilleur équilibre vaches-plantes qui me permettra de reprendre seule quand mon père partira à la retraite. Sinon, la clientèle établie depuis maintenant cinq ans est bonne donc rien à changer de ce côté-là. On verra avec mon fils et ma fille, qui sont encore jeunes, mais qui semblent s’intéresser pour lui davantage aux cultures de blé et de maïs et pour elle aux animaux.
Comment voyez-vous le futur du métier?
Jennifer Perrin
Le futur de l’agriculture, c’est de produire moins et mieux, mais pour cela il faut revoir toute la question du gaspillage alimentaire. Savoir qu’aujourd’hui le tiers de ce que y a été produit est jeté, c’est un drame.
Vanessa Junod
J’espère que la population suisse prendra conscience du travail agricole. Je vois des gens qui s’arrêtent faire des photos des champs, oui, c’est magnifique… Mais parce qu’on y travaille aussi. De nuit, de jour, par beau temps comme par mauvais temps, pendant les vacances… Je connais beaucoup de gens dégoûtés du métier à cause du décalage avec le reste de la population notamment. Alors j’espère que grâce à une meilleure communication, on pourra présenter notre réalité, pas celle d’ailleurs, et qu’on trouvera reconnaissance et respect auprès du grand public.
Diane Moullet
Je pense que les choses vont évoluer dans le bon sens. Il y a une prise de conscience à la fois sur le terrain, mais aussi chez le grand public. Cela nous donne l’opportunité de présenter notre réalité agricole suisse, qui n’a rien à voir avec les pratiques qu’on voit parfois à l’étranger. Chez nous, les exploitations sont petites et les normes élevées. Et les choses changent, par exemple je vois davantage de femmes sur les exploitations, même si souvent on continue de chercher «le patron».
Notre réalité agricole suisse n’a rien à voir avec les pratiques qu’on voit parfois à l’étranger. Chez nous, les exploitations sont petites et les normes élevées.